J’irai vivre à Ljubljana

Achat de quelques légumes à la supérette du coin (ainsi que des pâtes…), plein d’eau claire et vidange des eaux grises, dernière bière au bar le plus proche : on quitte Kamnik, son camping, son Kamfest, direction Ljubljana !
Cette ville sera la première capitale étatique traversée par LVRDR. Située à une trentaine de kilomètres de Kamnik, elle est la plus grande ville de Slovénie regroupant plus de 280 000 habitants sur un peu moins de 260 km². Huguette et moi on a déjà une petite expérience de la ville : on vise alors sa périphérie, de quoi trouver un petit coin pénard, loin du centre mais pas trop.

On passera une première nuit parqué dans une rue d’un quartier résidentiel, ça le fait sans être vraiment bien top.

Parking de l’Université

La technologie a aussi du bon ! Je détaillerai dans un futur billet les outils numériques que j’utilise pour trouver mes coins nuits et zones de stationnement longue durée.
S’appuyer sur des solutions logicielles pour finir par squatter le parking en gravier de la plus récente Université de la ville, celle qui accueille le pôle Informatique (et Biologie) me fait sourire.

Coin nuit à Ljubljana

On va être bien là, non ?

Accolé à la limite Sud du parc Tivoli, j’imagine alors qu’il sera facile de rejoindre le centre à vélo : pas manqué, une jolie piste cyclable suit un canal, traverse un quartier d’habitation parsemé d’ambassades et conduit au cœur de la ville. Top !
Huguette restera sur ce parking tout au long de notre séjour à Ljubljana, accompagnée des voitures des étudiants/chercheurs la journée, seule quand s’en vient la nuit.
Aucune crainte quand aux vols ni-même d’être délogé : par deux fois les képis viendront roder ici se contentant de me saluer.

Le centre-ville

Quinze à vingt minutes sur mon bolide à deux roues et me voilà en plein centre de la capitale. Première impression : c’est beau ! Le château domine la ville, posé sur sa butte délimitée à l’Ouest par la Ljublanica, la rivière qui parcourt la cité. Les façades aux couleurs pastelles viennent compléter la palette des verts affichée ici par la quantité d’arbres, arbustes et buissons disséminés partout dans la ville et plantés là, le long des berges du cours d’eau.

Centre ville de Ljubljana

Oui oui, c’est le centre ville

Rues pavées, cathédrale, églises et ponts, vieilles bâtisses, larges places, grand marché : du charme à la pelle !

Ljubljana rue Križevniška

Rue Križevniška, c’est tout mignon !

Et quelle tranquillité. Bien sûr, en plein moins d’Août le touriste est là (toujours moins qu’à Florence cependant). Il s’agglutine aux terrasses des cafés-bars-restaurants du centre, vue sur les « trois ponts », l’église de l’Ordre franciscain à la façade rose, le dôme de la cathédrale ou encore la pointe du château. La nuit, ce sont les clubs et discothèques qui sont les plus visitées.

Mais il y règne une douceur de vie incomparable. En tout cas dès les premiers moments, j’y respire. C’est sans doute la place accordée à la nature qui alimente ce sentiment qui ne me quittera plus. Je l’ai déjà connu quand j’ai eu la chance de visiter la ville de Québec. Il fait bon vivre à Ljubljana, c’est certain.

Église de l’Ordre franciscain

Église de l’Ordre franciscain

Je flâne dans la ville monté sur mon vélo, je tourne à gauche ou à droite quand l’envie m’en prend. Je remarque que le centre très actif de la cité, celui qui contient la majorité des visiteurs et boutiques en tout genre, est finalement tout petit. Il est traversé en cinq minutes de vélo, vingt minutes à pied.

Il semble que ce soit une constante chez moi, je préfère m’éloigner de la masse : je suis les conseils de Florent et me rend rue Eipprova, apparemment délaissée du flot des digital-cyclops, ceux qui n’ont plus que l’objectif de l’appareil photo à la place des yeux (oui oui, j’invente des mots).

Sax Pub

Une véritable institution, il est dit que ce serait le premier « pub moderne » de la ville. Au début de la rue Eipprova faisant face au canal Gradaščica, sa façade est totalement recouverte d’une fresque loufoque affichant un joueur de saxophone tandis que sa terrasse est équipée de chaises métalliques roses, bleues, vertes pomme ou encore oranges.

Le Sax Pub à Ljubljana

Le Sax Pub ! (Crédit photo : introuvable…)

Loin des animations touristiques du centre ville (car oui, vous comprenez, il faut marcher un peu…), ce lieu et plus généralement cette rue sont avant tout le territoire des ljubljanais : reste qu’on y est accueilli sans distinction d’origine, sans ressentir une quelconque méfiance ou plutôt jugement de la part des serveurs et consommateurs. D’ailleurs, derrière le Sax Pub se trouve un « foyer » (hostel) où bien des bag packer’s – ceux qui voyagent au sac à dos – viennent poser leur barda.

Je m’installe en terrasse sous une journée ensoleillée sans savoir encore qu’au Sax Pub, j’y passerai quelques dizaines d’heure durant mon séjour dans la capitale. Comme à l’accoutumé, un serveur vient quasi-immédiatement prendre votre commande : « Živijo pivo prosim ! » (littéralement : « Salut, bière s’il te plâit ! »).

Me voilà coincé, on me répond en Slovène. Changement de tactique, je parlerai maintenant en anglais : pas de problème ici, la langue de Shakespeare est très bien maîtrisée en Slovénie. Présentation des bières bouteilles et des bières pressions, mon choix se portera alors sur la Bevog Tak, une pale ale servie à la pression : Bevog, c’est la brasserie, Tak le nom de la bière (ça a son importance, on reparlera de tout ça dans un prochain billet).

Une pinte Bevog Tak

Bevog Tak ! Miam !

Au final, je goutterai presque toutes les bières proposées tout au long de mes visites au Sax Pub. Je deviens un habitué éphémère. Avec l’accord de l’équipe, je m’installe régulièrement dans un coin profitant d’une prise de courant et rédige mes écrits sur mon ordinateur. J’apporterai parfois des bonbons que l’on partagera en discutant de tout et de rien. Je finirai un samedi soir « Le théorème du perroquet », un roman de Denis Guedj abordant l’histoire des mathématiques coincé au comptoir sous quelques applaudissements de mes contemporains particulièrement éméchés : qu’il est étrange de s’enfermer dans la lecture quand l’heure est à la fête – on finira par s’offrir mutuellement bières et liqueurs.
J’entamerai plus tard « L’Éthique » de Spinoza, seconde fois que je le lis et toujours largement dépassé par les propos de l’auteur : bordel, c’est compliqué.

Mercredi. Plongé dans mes lectures sirotant ma boisson à bulle favorite, j’entends que la table voisine discute informatique : ça échange rudement en slovène mais le vocabulaire associé à mon domaine d’étude, lui, est énoncé en anglais. J’interroge alors timidement les belligérants quant au sujet de la discussion qui manque de se transformer parfois en une véritable bataille : modèle d’apprentissage et chaîne de blocs. Intéressant !

C’est ainsi que je rencontre Primože (prononcé prix-mot-jeu), tout le monde l’appelle simplement Primo. Primo il est sans pression, contemplant la vie s’écouler intéressé de tout et empli d’idées révolutionnaires. Deuzio, il est toujours avec son chien et sa guitare.

Primoze et sa guitare

Primo, son chien, sa gratte.

Nous passerons bien des heures à échanger, à s’interroger, traitant de tout mais toujours dans des conversations mesurées où le temps de pause est respecté, que ce soit à la terrasse du Sax Pub, autour d’un repas ou encore à Metelkova.


Metelkova

Ah, Metelkova ! Squat d’artistes, quartier libre, galerie d’art, place autogérée, « zone-à-tout/s », lieu de bienveillance, district d’expression affranchie, terrain de fête, voilà ce qui me vient à l’esprit lorsque je cherche à définir ce petit quartier incroyable dans le paysage de Ljubljana (avec un peu de recul, j’ai compris que Ljubljana est une ville avec le potentiel créatif pour ce genre d’endroit).

Metelkova à Ljubljana

Certains diront que c’est un peu chargé…

Chaque bâtiment est unique, décoré de peintures, de fresques, de mosaïques, de sculptures et d’objets détournés. Chacun accueille des soirées en tout genre où se produisent musiciens de tout styles, danseurs et comédiens, l’un d’eux est une galerie d’art.

Déserté la journée, Metelkova se réveille en début de soirée et quel réveil ! J’y passerai deux belles soirées, la seconde accompagnée de Primo. En m’intéressant à ce lieu, en posant quelques questions à ceux qui le veulent bien, je n’aurai que peu de réponses assurées :

– Il y a t’il une « personne morale » qui gère le bazar ? Il semble que non.

– Mais les autorités sont présentes, assurent sécurité/propreté/etc ? Il semble que non.

– Les bars doivent avoir une sorte de licence pour exercer n’est ce pas ? Il semble que non.

– Ce n’est quand même pas qu’une bande de copains/copines qui s’organise comme elle peut pour que tout se passe bien ? Il semble que si.

Pendant le déroulement des soirées, certains se motivent à ramasser ce qui peut traîner, gros sac-poubelle à la main. D’autres se chargent du tri des déchets ou de la sécurité des personnes et des biens (parce que oui, vous l’avez déduit, il y a… la DROOOOGUE. Il s’agit alors de ne pas l’ignorer et de faire avec). Il apparaît que les rôles tournent, s’organisent peut être au doigt levé et que tout ça, ça fonctionne. Incroyable ! Je pense aux rochelais : à quand une friche du Gabu occupée de la même façon ?

Mosaïque à Metelkova @Ljubljana

Mosaïque à Metelkova

Une sacrée bienveillance ou plutôt une bienveillance sacrée règne ici, sans doute liée à l’histoire du lieu. Sur sa page Wikipédia, on lit que ce sont de vieux bâtiments de l’armée Yougoslave qui sont squattés depuis 1993, qu’à ses débuts le réseau d’eau potable de la ville a été piraté pour alimenter les résidents et que depuis, les connexions à l’eau et électricité sont légalement réalisées et maintenues par l’argent récolté à la galerie d’art, aux bars et au guichet des soirées parfois payantes.

Metelkova accueille beaucoup d’activités associées aux communautés LGBT et anti-racistes.

J’irai vivre à Ljubljana, oui, mais à Metelkova !

Nom complet : Avtonomni kulturni center Metelkova mesto
Site web : http://www.metelkovamesto.org

En vrac

  • Dentiste

« Sylvie ! J’ai perdu un plombage ! ». Rrraaaah, la tuile ! Trou béant dans une molaire, ça pue : nid à bouffe inaccessible c’est le terrain parfait pour un abcès et ça, oh non non, plus jamais. Alors je me résigne et passe deux jours à trouver un dentiste qui veuille bien me recevoir « en urgence » : ça sera une dentiste qui fera un boulot impeccable assistée de sa collègue.

Sculpture à Metelkova à Ljubljana

Docteur, comment vont mes dents ?! BWaaaAAAAAAAh ! (Sculpture à Metelkova).

Rendez-vous pris un matin pour la fin d’après-midi, ça me laisse quelques heures pour bien stresser : au pays des gens normaux, personne n’aime aller chez le dentiste et j’en suis le roi. Direction le Sax Pub pour se détendre.
Retour au cabinet, je suis en sueur, je schlingue la peur :

« – Une anesthésie, monseigneur ?

   – Envoyez tout ou j’fais un malheur !

   – Je vous préviens, ça va coûter tout votre beurre.

   – Faites, faites, on voit ça tout à l’heure ! »

T+5 minutes, les travaux ont déjà bien débuté sous mes yeux paniqués. À la radio diffusée dans le cabinet, « Take it easy » de Hopeton Lewis : fou rire général enfin, sauf moi, tellement anesthésié que je ne peux que baver.

Comme à un enfant que l’on récompense d’une sucrerie après un passage chez le médecin, ça sera pour moi une réduction de 15 % : super sympa, merci ! Merci pour tout en fait !

100 balles quand même.

  • Coiffeur :

D’un coup, j’ai ce besoin de me raser la tête (opération réalisée par un professionnel, ça comporte des risques).
En visitant quelques salons du centre ville, on me dit que c’est sur rendez-vous, qu’il faut patienter une semaine, que ce n’est pas possible… enfin bref, qu’on n’a pas le temps. Je m’éloigne alors du centre et me rend dans un quartier au Sud-Ouest de la ville. J’y trouve alors un salon de coiffure, j’y entre et les négociations commencent. Accueilli par un refus, j’insiste en indiquant que l’opération est plutôt courte, je me défends et ça passe : « venez entre deux rendez-vous, à 14h35 précise, je m’occuperai de votre cas ».

Si j’en parle là c’est que ça été une bien belle rencontre.
Au plafond du salon est suspendu par des capables un beau vélo type VTC équipé de deux grosses sacoches à l’arrière. J’interroge le jeune homme occupé à tondre mon crâne pour qu’il m’indique que c’est sur ce vélo qu’il a parcouru bien des kilomètres à travers l’Europe. Waouh, la classe !

Jardin à Ljubljana

A 15 minutes à pied du centre, on trouve de grands jardins comme celui-ci

On discutera tous les deux sous les oreilles attentives des clientes qui attendent leur tour de nos voyages respectifs se rendant compte des valeurs communes qui nous unissent. On discute respect de l’autre, consumérisme, religion, science, environnement…
Opération terminée, parfaitement menée, j’aurai grande peine à rémunérer ce travail, l’ouvrier refusant mes deniers : on s’accordera sur un billet de 5€ et une bonne accolade accompagnée de nos meilleurs souhaits.
Magique !

  • Interview télé :

Je suis tranquillement installé sur un banc rue Križevniška, roulée au bec, qu’une équipe de journaliste déboule du haut de la rue. M*rde, j’en ai regardé un droit dans les yeux, je suis seul, proie facile, ils vont venir perturber ma tranquillité à coup sûr.
Pas manqué, l’interview porte sur le match de foot de la veille et se déroulera en anglais : « oh bah là les gars, le foot, moi, je peux pas vous aider hein ».
Lorsqu’à la question de mon origine je répondrai que je suis français, l’un me regardera les yeux écarquillés : « tu es français et tu ne suis pas le foot ?! ». J’acquiesce puis le sens déçu, je ne sais pas trop quoi lui dire.
J’ai cherché un peu si je pouvais trouver cette interview, pas moyen, j’ignore même s’ils l’ont utilisée dans le montage final.

  • Plein de gaz

J’arrive à cours de gaz, celui qui me sert à cuisiner de bons petits plats (des pâtes…). Je me suis rendu au BTC, l’une des plus grandes zones commerciales d’Europe pour tenter de trouver un fournisseur. Magasins de sport en tout genre (pour changer ou échanger les bouteilles), supermarchés, magasins de bricolage : rien de rien.
L’une des employés du dernier magasin de matériaux passera quelques temps à chercher l’adresse de cette station située à l’écart de la ville où je pourrais faire remplir mes bouteilles, c’est trop gentil.
Une fois sur place, au Nord-Ouest de Ljubljana, j’apprends qu’il n’y a tout simplement pas de butane en Slovénie, seulement du propane (ou parfois un mélange des deux). On m’explique que le butane gèle en dessous de 0°C et que donc, il n’y en a pas : logique, les hivers peuvent être rudes ici. Seulement, Huguette est équipée d’une installation qui fonctionne au butane, alors comenkonfé ?!

Bouteille de gaz

Hé, mec, t’as pas du gaz ?

Et bien on remplie au propane ! Le responsable m’explique tout, me dit que ça va le faire, que tout roule mon petit. Je reste quand même suspicieux, lui faisant part de mon inquiétude à plusieurs reprises. Je me souviens alors de sa réponse : « c’est toujours mieux d’être un peu flippé quand ça concerne le gaz ».

Au final, ça fonctionne très bien – j’y retournerai même une seconde fois.
Alors attention, ce n’est sans doute pas si simple que ça, je sais d’ailleurs qu’il y a des limitations (rapport aux densités, forces, corrosion des matériaux etc), ne jouez pas aux alchimistes : ce n’est qu’après un bon échange que j’ai choisi d’accorder ma confiance à ces professionnels.

  • La Rousse (Septembre 2017) :

Lors de ma seconde visite à Ljubljana, je suis allé à la rencontre d’un vieux copain de lycée accompagné de sa douce, tous deux venus en Slovénie pour un trek à travers les montagnes.

Romain, Romain et Chloé

Romain, Romain et Chloé au Sax Pub !

La dimension temporelle est une prison que nous ne pouvons contrôler : elle nous embarque dans son perpétuel écoulement qui dira-t-on nous fait vieillir. Et bien croyez-moi ou non, aucune des minutes qui séparent notre dernière rencontre en 2009 de celle-ci n’a dû s’achever : nous sommes les mêmes, sorte d’invariants de l’espace temps contraints à une amitié intouchable. P’tain, c’est beau.

Romain et Romain

Inchangés j’vous dis ! (Lycée Pilote Innovant, 2005)

Bières au Sax Pub, dîner champignons/patates/poireaux, discussions et rigolades : Romain (surnommé La Rousse ou Rominou) et Chloé, c’était très cool. On se voit chez vous ?

Tu conclus, non ?

Il va bien falloir oui. D’excellents moments à Ljubljana, ville tellement charmante et si paisible. Des tas de bons souvenirs qui ne peuvent s’inscrire sur une page d’un vulgaire blog : les longues promenades à vélo et à pied, les discussions autour du café, les sourires et la bienveillance des semblables, la lumière d’Août, la fraîcheur des matinées, les rencontres passagères…

Bref. J’irai vivre à Ljubljana.

La suite ? Le plateau de Nanos !

Du 16 au 25 Août puis du 24 au 28 Septembre 2017.